Nos émotions font partie de nous. Pourtant, elles sont souvent décriées et très mal considérées… Emma Vilarem, docteure en neurosciences et cofondatrice de Cog’X, agence de conseil et d’étude en sciences cognitives basée à Paris, fait le point pour nous sur la définition et le rôle des émotions.
La joie, la tristesse, la peur, la colère, le dégoût et la surprise : ce sont les 6 émotions principales étudiées par les neurosciences cognitives. Des émotions très soudaines, qui provoquent des réactions musculaires ou viscérales dans notre corps. La peur, par exemple, peut provoquer de la transpiration dans les mains, une accélération du rythme cardiaque, un sursaut... Contrairement à l’humeur dont l’origine reste diffuse, l’émotion, elle, naît en réaction à un événement. « Une émotion est une réaction soudaine et complexe du cerveau, d’une durée limitée, qui déclenche des manifestations dans le corps, en réponse à quelque chose qui se passe dans l’environnement, que ce soit un événement externe comme un bruit ou un événement interne comme des pensées anxiogènes », explique Emma Vilarem.
L’erreur de Descartes
Notre sensibilité nous aide ainsi à nous protéger des dangers. « En nous aidant à prendre des décisions adaptées, en nous faisant agir et réagir vite, les émotions ont favorisé notre survie », précise Emma Vilarem. Pourtant, les émotions ont longtemps été dénigrées et opposées à la raison, notamment par le philosophe René Descartes, car supposées provenir du corps, plus particulièrement du cœur. Un mauvais procès selon la scientifique : « Cela ne fait pas sens de dissocier émotion et raison parce que tout se passe au même endroit : dans le cerveau ! Et qu’il existe de nombreuses interactions entre les deux. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, les émotions n’ont rien d’irrationnel ».
Sous le seuil de conscience
Que nous apprennent alors les sciences cognitives (neurosciences, psychologie, etc.) sur les émotions ? « D’abord, que nous pouvons détecter une émotion sur un visage ou dans la voix sous le seuil de conscience, en 50 millisecondes. C’est extrêmement rapide », souligne Emma Vilarem. On a à peine le temps de voir l’émotion naître sur le visage d’une personne, d’en prendre conscience que notre cerveau l’a déjà détectée ! « Contrairement à la plupart des machines, les humains possèdent cette capacité à détecter de façon ultra rapide et automatique les informations émotionnelles, non-verbales, telles que les expressions du visage, la posture ou la prosodie, qui sont très importantes dans nos interactions sociales. »
La régulation émotionnelle
Les neurosciences nous apprennent aussi que notre cerveau a la capacité d’apprendre à réguler ses propres émotions. Un tel apprentissage est permis par « la plasticité cérébrale », cette capacité de notre cerveau à s’adapter à nos expériences et à apprendre tout au long de la vie. Plusieurs stratégies existent pour moduler la charge émotionnelle. Il y a, par exemple, la stratégie de diversion : j’écoute de la bonne musique ou je me rappelle de bons souvenirs pour réduire ma colère. Ou la stratégie de réinterprétation : je m’efforce de changer de regard sur la situation qui provoque de l’émotion en moi. « En revanche, l’écueil à éviter, c’est la stratégie de suppression, c’est-à-dire faire semblant de rien ! C’est délétère sur le long terme. Cela comporte des risques pour la santé mentale », ajoute Emma Vilarem. Et pourtant, c’est très souvent la stratégie adoptée au travail…
Les émotions à la porte des entreprises
En effet, les émotions sont souvent considérées comme incompatibles avec le travail et les salariés, invités à laisser les leurs à l’entrée de l’entreprise. C’est ce que la docteure en neurosciences appelle « le tabou des émotions dans l’entreprise ». On retrouve ici la croyance selon laquelle les émotions viendraient du corps et seraient donc irrationnelles, alors que le travail, lui, est rattaché à la raison… Encourager ce mythe, c’est pousser les salariés à nier leurs émotions, ce qui, Emma Vilarem nous le rappelle, est mauvais pour la santé. Mieux vaut exprimer ses émotions et apprendre à les gérer, par exemple, grâce à la communication non violente (CNV). « Ce n’est pas toujours facile, cela prend du temps et de l’énergie, mais les personnes qui pratiquent la régulation émotionnelle ont une meilleure santé mentale et de meilleures relations avec les autres. C’est très positif ! » Alors, convaincu-e ?
Pour en savoir plus : https://www.cogx.fr/